Par : Earl ANKRAH & La Banque Mondiale / Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation
Le commerce intra-régional des produits agricoles
et alimentaires est crucial pour la résilience du système alimentaire en
Afrique de l’Ouest. Cependant, des défis persistants entraînent des flux
commerciaux officiels plus faibles que dans d’autres régions d’Afrique.
Plusieurs politiques ont été mises en place pour faciliter et renforcer ces
échanges dans toute la sous-région. Parmi elles figurent, entre autres, le
Schéma de Libéralisation des Échanges de la CEDEAO (ETLS), la Politique
Agricole Commune de la CEDEAO (ECOWAP) et la Zone de Libre-Échange Continentale
Africaine (ZLECAf). Bien que l’adoption de ces politiques et cadres soit
louable, les preuves indiquent que les États membres de la CEDEAO peinent à
mettre en œuvre ces politiques normatives.
Ainsi, grâce au Programme de Résilience du Système
Alimentaire en Afrique de l’Ouest (FSRP), financé par la Banque mondiale à
hauteur de 1,2 milliard USD, la CEDEAO a conçu et lancé le Tableau de Bord du
Commerce et du Marché Agricole de la CEDEAO (EATM-S) comme initiative phare
pour suivre et améliorer la conformité des États membres aux normes convenues.
LE BON
L’Afrique de l’Ouest est une région historiquement
intégrée depuis le VIIIᵉ siècle, abritant les premiers empires africains
connus, tels que l’Empire du Ghana et l’Empire du Mali (aussi appelé Mandé) au
XIIIᵉ siècle, couvrant plusieurs pays actuels d’Afrique
de l’Ouest. Ces empires entretenaient de solides relations commerciales avec
leurs voisins. Riches en or, ils étaient situés au carrefour des routes
commerciales reliant le Maghreb (au nord) et la région soudanaise (au sud).
Outre l’or, le cuivre et le sel, les produits agricoles étaient largement
échangés (Source : Niane, 1987).Le commerce était facilité par la présence de
groupes ethnolinguistiques homogènes établis dans plusieurs pays, mais
fragmentés durant la colonisation. Parmi eux : Le groupe Mandingue – présent au
Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Guinée-Bissau et Gambie.Le groupe
Peulh – présent au Mali, Sénégal, Burkina Faso, Guinée, Guinée-Bissau, Ghana,
Bénin, Niger et Nigéria. (Source : Bouet et al., 2024)
Créée en 1975, la Communauté Économique des États
de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a été mise en place pour assurer la stabilité
et l’intégration régionale. Peu après, un jalon majeur a été franchi avec le
lancement de l’ETLS en 1979, visant à favoriser le commerce régional.
Initialement limité aux produits agricoles non transformés et à l’artisanat
(pour des raisons de sécurité alimentaire), il a été étendu aux produits
industriels en 1990.
Dans cette dynamique, le Ghana, membre important de
la CEDEAO, continue de participer aux efforts d’intégration régionale grâce à
la ratification et à l’harmonisation de plusieurs politiques et initiatives
commerciales telles que l’ETLS, l’ECOWAP et l’établissement de la ZLECAf, dont
le siège est à Accra.
Malgré ces avancées régionales, l’harmonie espérée
reste un mirage dans la sous-région. Les barrières, points de contrôle, arrêts
interminables et inspections routières persistent. S’ajoutent à cela : Des
droits de douane élevés, des frais divers, des formalités documentaires
complexes aux frontières, des obstacles administratifs, des heures d’attente et
retards, des restrictions et interdictions, une mauvaise qualité des
infrastructures routières, des actes de banditisme, harcèlement et abus envers
les commerçantes, ainsi que des guerres civiles qui continuent de freiner les
activités commerciales dans la région. Pour les commerçants de denrées
alimentaires et produits agricoles, les conséquences sont encore plus graves.
Transporter des tomates d’un pays à l’autre implique souvent de subir de
nombreux contrôles, de longs stationnements sous des conditions climatiques
extrêmes, ce qui détériore la qualité nutritionnelle des aliments – si tant est
qu’ils arrivent en état de vente sur les marchés. Cette situation réduit les
marges bénéficiaires, obligeant certains à augmenter légèrement les prix pour
compenser les pertes, ce qui décourage l’entrée de nouveaux commerçants et
laisse quelques acteurs dominer le marché.Le bétail n’est pas épargné. Les
longs trajets sur des routes accidentées les désorientent, entraînant
déshydratation et mortalité sous le soleil brûlant lors des voyages à travers
plusieurs fuseaux horaires.
LA PROMESSE
Pour répondre à ces défis, le Tableau de Bord
EATM-S a été créé afin d’identifier les lacunes dans la mise en œuvre nationale
des politiques régionales de commerce agricole et alimentaire.
Grâce à ce mécanisme, la CEDEAO surveille et évalue
les progrès réalisés par les pays membres pour supprimer les barrières,
accélérer les processus, réduire les coûts et augmenter significativement les
volumes d’échanges de produits alimentaires et agricoles (en particulier le
maïs et le riz) dans la sous-région, avec pour objectif de passer de 20 % à 30
% d’ici 2028. Dans le cadre de cette évaluation, les autorités publiques et
organismes de régulation de la sous-région – Douanes, organismes de
normalisation, chambres de commerce, experts commerciaux, associations
professionnelles – ont été interrogés. Les fabricants, grossistes, détaillants,
commerçants transfrontaliers, transitaires, entreprises de logistique et de
transport ont également fourni des informations cruciales.L’analyse s’est
concentrée sur plusieurs aspects : Les flux et valeurs des importations et
exportations agricoles intra-régionales, les restrictions, interdictions et
frais appliqués, le temps et les coûts de passage, les documents exigés, les
droits de douane, la qualité des infrastructures de transport, la fréquence des
contrôles routiers.
Les résultats de cette évaluation, attendus pour le
3ᵉ trimestre 2025, permettront d’accroître la
transparence et la responsabilité dans le commerce agricole au sein de la
sous-région.
LA STRATÉGIE DU GHANA
Au début de son second mandat, le Président Mahama
a entrepris plusieurs tournées de bon voisinage afin de renforcer les relations
diplomatiques et économiques du Ghana avec ses pays voisins. Lors de sa visite
au Mali, il a mis en avant le rôle essentiel des conducteurs de camions longue
distance pour l’économie des deux nations. Il a reconnu les difficultés qu’ils
rencontrent : Procédures douanières complexes, postes de contrôle routiers, retards
aux frontières, frais informels.Il a réaffirmé l’engagement de son
administration à éliminer les obstacles entravant la libre circulation des
marchandises entre le Ghana et le Mali.
Lors de sa visite au Burkina Faso, il a annoncé des
discussions pour établir des vols directs quotidiens entre Accra et Ouagadougou
afin de stimuler les échanges commerciaux, la connectivité et les relations
transfrontalières.Ces initiatives sont cruciales pour favoriser le commerce
intra-régional, stimuler la croissance économique et renforcer les liens entre
le Ghana et ses voisins.Déjà, grâce au financement de la Banque mondiale, FSRP
Ghana modernise les installations de la Direction de la Protection des Végétaux
et des Services de Réglementation (PPRSD) du Ministère de l’Agriculture (MoFA)
sur quatre postes frontaliers : Paga, Hamile, Sampa et Aflao. Le projet prévoit
également la réhabilitation de certains marchés de gros – Bolga, Abofour,
Ejura, Agogo et Denu – où s’effectue un commerce intra-régional important de
riz, maïs, etc.
Ces interventions faciliteront non seulement
l’amélioration des activités sanitaires et phytosanitaires (SPS), mais
renforceront également le commerce agricole entre le Ghana et ses pays voisins.
LES OMBRES DE L’ECOMOG
Pour FSRP Ghana, là où le commerce et les échanges échouent à s’étendre, conflits et famine s’installent. Par le passé, la CEDEAO était principalement reconnue pour ses opérations de maintien de la paix dans la sous-région, notamment via le Groupe de Surveillance du Cessez-le-feu de la CEDEAO (ECOMOG).Le Ghana a joué un rôle central dans ces missions, apportant troupes, armements, renseignements, financements et diplomatie pour favoriser la paix et la stabilité régionales.Aujourd’hui, aux côtés de la CEDEAO, de la Banque mondiale et des pays participants au FSRP, le Ghana prend les armes contre la faim, les aléas climatiques et l’insécurité alimentaire. Selon la vision de FSRP Ghana, les efforts de maintien de la paix dirigés par la CEDEAO ont permis de faire émerger des généraux militaires ; de la même manière, une campagne régionale contre l’insécurité alimentaire devrait désormais faire émerger des « Généraux de l’Agriculture » pour le Ghana.
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